De John Lasseter. Entre deux matchs de coupe du monde (qui explique en partie ma baisse de rendement!), j’ai pu aller voir cette nouvelle réussite des studios Pixar. A partir d’une histoire hyper classique (Flash McQueen, « petit con » prétentieux et égocentrique, ne vivant que pour gagner la Piston Cup, atterrit dans la petite ville de Radiator Spring où il apprendra qu’il y a des choses plus importantes que les victoires et les trophées), Lasseter arrive à initier une réflexion sur le devenir et l’état actuel des Etats-Unis. Un film d’animation (numérique, dessin) est toujours pourvu d’un contenu sémantique fort. Genre de l’image c’est-à-dire genre par excellence de la dénotation et de la représentation, il initie la plupart du temps un contenu allégorique et métaphorique fort, le plus souvent aisé à déchiffrer.

Cars, civilisation de l’automobile

Ici, comme dans Toy Story ou Luxo, Lasseter choisit de donner vie, d’humaniser (le fameux anthropomorphisme) ce qui relève du plus mécanique, ce qui, a priori, est le moins propice à l’être. Choisir l’automobile (une des passions de Lasseter) n’est pas un choix anodin et renvoie directement à l’essence de la civilisation américaine : civilisation de l’automobile et de l’espace, pour la penser, quoi de mieux que de passer par ses emblèmes que sont les automobiles (ce qui, selon moi, rend quelque peu déplacé les critiques sur l’exaltation de l’automobile aux détrimens de l’écologie) pour la penser? Le film relève d’abord d’une chronique d’un monde perdu ou plus précisément d’une Amérique perdue. Ainsi, le film travaille sur l’idée de déplacement et de marge. Flash va passer d’une civilisation de l’autoroute, de la vitesse à une civilisation de la lenteur, une civilisation qui cimente son mythe autour de la non moins mythique route 66. Prendre cette route, s’y égarer, c’est plonger au coeur de l’Amérique d’antan, celle des drive in, des vieilles chevrolets, celle qui prend le temps de la déambulation, de la contemplation… Les modes de conduite présentés dans le film sont en ce sens métaphoriques des modes de vie américains : à la ligne droite se substituent les routes sinueuses qui, elles, sont au coeur de l’espace sauvage et mythique américain.

Cars: vitesse, performance, technique

Le film est également peinture d’un espace marginal (Radiator Spring) ou plutôt marginalisé par l’essor de l’autoroute, c’est-à-dire d’une civilisation fondée sur la vitesse, la performativité et la technique comme émancipation (fausse ici) de l’homme. Il s’agit bien de revenir dans un espace désertique mais surtout désertifié: le retour aux sources est en cela retour à une forme de mythe fondateur (le far west, la traversée du désert, du Grand Canyon) qui devient critique par rapport aux valeurs actuelles. Ainsi, Flash va devoir refaire une route qu’il a lui-même dégradé. Digne admirateur de Miyazaki, Lasseter semble utiliser le travail (penser à Chihiro, Au Château ambulant) comme source d’une initiation éthique mais qui, à la différence de Miyazaki pour qui le travail est une notion fondatrice et évidente, sert à purifier le personnage, à lui ouvrir les yeux sur son ancienne conduite (automobile et donc éthique!). Vous verrez d’ailleurs que Flash garder sur sa carosserie une trace de goudron (vestige de son travail) qui indique que le personnage est définitivement marqué par l’expérience. Le temps (perdu, évidemment, au début mais qui se révèle bonifié àla fin) ouvre la possibilité de la durée comme découverte de l’autre et redécouverte d’un ensemble de valeurs (amitié, solidarité, don de soi). La vitesse intitiale (qui avait débouché sur du travail mal fait) s’éclipse devant le choix du travail bien fait: encore une fois, la séquence se révèle porteuse d’une charge métaphorique forte. Je rappelle en passant que le contenu des films d’animation occidentaux de type Disney, ont toujours un contenu éthique très fort, ce qui explique que l’on puisse trouver celui-ci un peu moralisateur…

Flash ressoude les deux Amériques

La trame narrative (plutôt usée comme je l’ai dit) n’est donc qu’un prétexte pour confronter deux Amériques mais aussi pour montrer comment ces deux Amériques peuvent s’enrichir l’une l’autre: c’est le village qui revivra grâce à Flash, c’est Flash, qui par son action finale, ressoudera le groupe autour de valeurs fondatrices. Ce message, par moments simpliste, est servi bien évidemment par une inventivité débridée. Ainsi, la force de la production Pixar réside dans sa capacité à soigner les détails et les caractérisations des personnages. Chaque dessin possède le détail qui révèle un trait d’humanité décelable et donc qui assure le fonctionnement métaphorique du tout : c’est le tatouage de la Porsche Sally, la moustache du concurrent de Flash. En retour, après avoir humanisé le monde automobile, c’est le décor qui, lui, devient automobile (l’hotel de Sally en forme de plots, le désert où les roches sont des sculptures d’anciennes voitures et ces nuages qui sont des trainées de pneus!). Il est à noter que la technique employée semble de plus en plus forte au fil des films : progrés dans les décors, dans les textures, dans l’usage des couleurs et de leur contraste. Mais là encore, c’est l’écriture, le soin apporté à la définition des caractères qui priment, la technique n’est là que pour assurer l’efficacité des divers aspects du travail scénaristique.

Film aux niveaux de lecture multiples, jouant sur différents registres, Cars confirme que l’on peut prendre au sérieux l’animation et accepter de concilier divertissement et réflexion. Remercions des personnes comme Lasseter de décloisonner le monde de l’animation occidentale et de la faire entrer dans l’âge adulte!

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