Pixar franchit une étape… encore. Le studio nous ayant habitué sur près de dix ans à annuellement nous plonger dans des univers aussi improbables que fantasmagoriques, l’essentiel du propos reposait sur le fun plein pot où les aventures trépidantes étaient le seuil de ces cartoons nouvelle génération. Rien de péjoratif là dedans, on ne s’était pas éclaté autant devant un dessin animé depuis des lustres. L’arrivée de Brad Bird sur Les Indestructibles a relancé la machine de plus belle puisque s’il s’agissait clairement d’un film d’action, c’était surtout du cinéma, du vrai. Face à la concurrence grandissante, le Disney new look et ses créateurs fous n’ont eu de cesse de s’en tenir à de vraies règles artistiques, où l’animation grand public n’était pas uniquement réservée aux animaux qui chantent en se tenant la main ou en dansant le mambo. Cars de John Lasseter allait également dans ce sens avec son charmant portrait nostalgique maquillé en un Majorettes-Land et Ratatouille confirme plus que jamais que sous ses formes enfantines, le cinéma de Brad Bird a définitivement des choses à dire… Inutile de s’attarder quelques secondes de plus sur une éventuelle comparaison avec une rachitique concurrence (en admettant qu’elle existe vraiment), puisque le Pixar cru 2007 la rat-a-tine… Et un bon film, un !

Le film Disney Ratatouille Magistrale

  • RATATOUILLE (rat-a-too-ee)
  • Un film de Brad Bird
  • Avec les voix de Paton Oswalt, Ian Holm, Lou Romano, Janeane Garofalo, Peter O’Toole
  • Durée : 1h50
  • Date de sortie : 1er août 2007

Remy, c’est un peu l’esprit rêveur d’une colonie de rats qui acceptent le quotidien auquel ils étaient destinés. Remy, il veut plus que cela, et il veut surtout bien plus que de simples trognons de pomme comme repas : son dada, c’est la grande cuisine. Il le sent dans ses tripes, et l’idée même d’approcher les fourneaux le met dans tous ses états. Lorsqu’il atterrit accidentellement dans le meilleur restaurant du monde, en plein cœur de Paris, il saute alors sur l’occasion pour mettre ses talents à profit de Linguini, un plongeur incapable de préparer des œufs à la coque…

L’essentiel du propos est là. La passion et cette humilité sociale qui retient certains génies timides à franchir le pas. Bird ne trichera d’ailleurs pas sur la marchandise puisque le programme est annoncé d’entrée de jeu avec une introduction qui ressemble justement à s’y méprendre à celle des Indestructibles. Un résumé du film modestement présenté sous une forme télévisée avant de nous gratifier d’un spectacle culinaire en cinémascope où chaque millimètre du cadre fera l’objet d’un soin infini. La forme, une vraie splendeur, on y reviendra plus tard. Fort heureusement, l’argument de poids de Ratatouille, ne consiste pas à uniquement nous raconter les mésaventures d’un rongeur déambulant entre les assiettes et les couteaux. Le rat est justement la créature la plus mal-aimée des milieux hygiéniques, et sous couvert d’un certain savoir-faire, est condamné d’avance pour délit de faciès. Le film sonne donc comme un appel à la tolérance d’appréciation. On s’adresse même au vilain métier de critique, et fatalement à celles et ceux de notre spécialité qui ne prendraient pas le temps de saisir l’effort artistique fourni. Même sur les pires navets. Une chose qui, de toute façon, ne concerne pas Pixar dont le travail s’est toujours imposé comme le dessus du panier des films d’animation 3D.Alors oui, dans son fond, Ratatouille conservera quelques étincelles d’une démagogie de rigueur, mais même dans ses thèmes les plus mielleux le film fait preuve d’une telle intelligence que le spectacle reste impressionnant. Au contraire, on le démystifie puisque le vilain critique culinaire (Peter O’toole) qui allume à qui mieux-mieux les restaurants imparfaits, sera ici présenté comme un personnage démoniaque et filiforme (maigre parce qu’il n’avale que la bonne cuisine) tout droit sorti d’une production de la Hammer. Tapant sur sa machine à écrire en forme de tête de mort, tel un fantôme de l’Opéra dont la chambre arbore le profil d’un cercueil, il est ainsi ce mal absolu contre qui seuls les passionnés ET talentueux peuvent garder le profil haut.

Autant dire que ce n’est pas gagné pour Remy et Linguini. Rongeur pouilleux d’un côté et maladresse incarnée de l’autre, qui devront jouer de malice durant près de deux heures en se soutenant respectivement par procuration et en cachant chacun son impossible secret : aucun des deux n’a sa place dans une cuisine digne de ce nom. Et ce sera probablement le plus gros point fort du film qui prouve une bonne fois pour toutes que l’animation n’est pas un genre réservé aux enfants mais un format qui peut au contraire donner une forme très consistante à n’importe quel type d’histoire, malgré les traits poupons de ses personnages. C’était, une fois encore, déjà le cas dans Les Indestructibles. Ici on est plutôt dans un incroyable décorticage de la comédie européenne à l’ancienne – même si Français et Italiens font encore un peu l’objet d’amalgames excusables – loin d’une cartoon attitude, où le burlesque pétillant se marie admirablement avec le romantisme crémeux. Ce Paris carte postale absolument splendide n’est donc pas une excuse de plus pour changer de décor, mais bien une atmosphère unique jonglant entre le réel (on jurerait parfois reconnaître quelques rues du 7ème arrondissement) et un univers de poupées grandeur nature si léger qu’il nous élèverait presque. Comme si le fumet d’un dessert appétissant aux fruits rouges nous soulevait par les narines.

Le film Disney Pixar

Une jolie fable « bien de chez nous », pourrait-on presque dire, qui s’ouvre néanmoins sur une culture peu commune pour de l’animation avec un si lourd budget, et qui prend surtout le risque commercial de ne jamais s’encombrer d’effets de mode, de gags et d’anachronismes faciles, d’aventures trépidantes à tout prix ou de gadgets musicaux tendances. Bien que la BO, même internationale, soit signée par Camille (Ta douleur) et démontre une fois encore que le studio a privilégié l’aspect artistique de son film. Une fable donc, qui lorgne du côté d’un Cyrano des fourneaux où notre rat star et son nez infaillible pour reconnaître les saveurs camperait un De Bergerac moderne guidant Linguini, le Christian de service répétant aveuglement ce qu’on lui mime pour séduire le méchant critique, son chef tyrannique, des clients toujours plus difficiles et surtout la belle Colette, la Roxanne locale. C’est joli, c’est effectivement très beau et c’est même perpétuellement splendide voire carrément déconcertant de perfectionnisme. Outre une photographie générale belle à tomber, Ratatouille impose un déferlement visuel tel, qu’il prouve que chaque nouveau film issu du studio est à chaque fois le meilleur du marché sur un plan technique. Impossible de ne pas être bluffé par ces objets en cuivre, par ce léger tourbillon de soupe, ou même par un simple casque de moto, chacun réinventant littéralement le photoréalisme. Les aliments (systématiquement magnifiés, même en gros plan) sont presque à porté de main en plus d’être appétissants, les sauces coulent et frémissent sur des couverts et plats plus vrais que nature, les rats parviennent à se mouvoir comme s’ils filaient entre nos jambes, leur fourrure (surtout celle du patriarche) concrétisent déjà un nouveau standard et Paris prend enfin forme à l’écran jusqu’au moindre pavé comme rares caméras américaines ou même françaises y sont parvenues. A croire qu’ils ont directement été les arracher sur les quais.

la conclusion du film RAtatouille

Une foultitude d’ingrédients déversés dans une casserole dont seuls quelques privilégiés connaissent réellement la recette pour donner forme à l’ensemble. Ensuite, le charme agit parce que mille fois sincère dans ses intentions malgré l’obstacle de son statut (pas simple de faire une vraie romance sans être mièvre), et parce que réalisateur tout court avant d’être réalisateur de dessin animé, Brad Bird connaît les ficelles d’un cinéma léger et pourtant consistant. Ratatouille, c’est effectivement beaucoup de bonnes choses. C’est une belle rencontre à travers la paroi d’un bocal, c’est une quasi unité de décors aussi feutrée qu’évasive, c’est une extraordinaire poursuite en scooter brinquebalant sur des péniches (avec un plan subjectif sur une main qui n’a pas fini de faire rire) et c’est surtout un savant mélange entre légumes rouges et aromates. Un régal exquis, un délicieux festin, une délectable volupté, et beaucoup d’autres mots comme ça… En plus, le patron est sympa.

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